Un élixir né du secret monastique
Nichée dans les montagnes de la Chartreuse, l’abbaye qui a donné son nom à cette liqueur mythique semble hors du temps. Depuis plus de 400 ans, les Pères Chartreux y élaborent un breuvage qui suscite admiration et convoitise : la fameuse Chartreuse Verte VEP, pour « Vieillissement Exceptionnellement Prolongé ». Sa recette, toujours jalousement gardée, reste une énigme dans le monde des spiritueux. À travers ses parfums herbacés puissants, ses reflets dorés profonds et sa texture onctueuse, elle transporte le dégustateur dans un voyage mystique.
La recette : 130 plantes, un mystère alchimique
Vous pensiez avoir percé tous les secrets des liqueurs ? Détrompez-vous. La Chartreuse Verte VEP est élaborée à partir de pas moins de 130 plantes, fleurs, racines et épices. Le plus fascinant ? Seuls deux moines connaissent la recette exacte. Pas un de plus. Leur nom n’apparaît jamais en public, leur rôle est confidentiel, presque sacré.
Les plantes, sélectionnées avec une minutie quasi botanique, sont macérées dans un alcool d’origine agricole, puis distillées, avant d’être vieillies dans des foudres en chêne pendant un temps exceptionnellement long — parfois plus de quinze ans ! C’est cette patience et ce savoir-faire ancestral qui donnent à la VEP (et c’est là toute la différence avec une Chartreuse verte « classique ») sa complexité aromatique et sa rondeur incomparables.
Une production rare et précieuse
La production de la VEP est limitée. Très limitée. Alors que l’industrie moderne court après volumes et rendements, les Chartreux font figure d’irréductibles artisans. Chaque millésime est mis en bouteille à la main, aux caves de Voiron, dans des flacons sobres, millésimés, scellés à la cire. Les étiquettes, elles-mêmes, semblent surgir d’un autre siècle, avec leur typographie monastique et leur élégance discrète.
Le flacon de la VEP est présenté dans un coffret en bois brut gravé, qui évoque davantage un écrin de relique qu’un simple emballage. Posséder une bouteille de Chartreuse Verte VEP, c’est un peu comme détenir un morceau d’histoire liquide. Un souvenir d’herboristerie sacrée, figé dans l’alcool.
Dégustation : un rituel de lenteur
Comment boit-on la VEP ? Certainement pas à la volée. Ce breuvage nécessite temps et silence. Il se mérite. Un verre ballon légèrement chauffé par la paume de la main, une température autour de 18 à 20 degrés, et surtout : pas de glaçons. Ils briseraient l’harmonie subtile des arômes.
Au nez, la Chartreuse Verte VEP déploie une symphonie de senteurs : menthe poivrée, absinthe, épices douces, fleurs alpines, une touche de résine et une sensation presque sucrée mentholée. En bouche, c’est un feu d’artifice maîtrisé, avec des montées douces et des retours de flamme épicés. La longueur en bouche est exceptionnelle, poursuivant le dégustateur longtemps après la dernière gorgée.
Un conseil d’ami : dégustez-la dans le silence ou accompagné d’un morceau de musique classique — l’effet est presque méditatif.
Accords de terroirs : quand la Chartreuse rencontre la table
Si la VEP se suffit à elle-même, elle peut aussi devenir une complice gastronomique surprenante. Voici quelques pistes d’accords qui transcendent le simple apéritif ou digestif.
- Fromages de caractère : Essayez-la avec un vieux comté affiné 24 mois ou un bleu de Termignon. La richesse lactée des fromages lie harmonieusement les tonalités végétales de la Chartreuse.
- Desserts au chocolat noir : Un carré de chocolat 70 % cacao ou une mousse au chocolat amer se mariera parfaitement à la liqueur. La fraicheur herbacée allège la puissance du cacao.
- Foie gras poêlé : Oui, vous avez bien lu. Quelques gouttes de VEP ajoutées dans une sauce réduite à la poêle apportent un contrepoint tonique à la richesse du foie gras.
- Infusions culinaires : Utilisez-la, avec parcimonie, pour flamber un dessert (une crêpe soufflée par exemple), ou même dans une ganache pour chocolatier audacieux.
Une Chartreuse bien accordée, c’est un bal de textures et d’arômes où rien n’est laissé au hasard.
Mixologie : la VEP, star (discrète) des cocktails d’auteur
Vous pensiez que la Chartreuse Verte VEP est trop précieuse pour finir dans un shaker ? Détrompez-vous : quelques mixologues bien inspirés l’utilisent avec parcimonie dans des créations sur-mesure. Bien entendu, on ne parle pas ici de mojitos de plage, mais de verres calibrés, méditatifs, servis au compte-goutte.
- Le « Last Word » revisité : Cocktail culte de l’ère Prohibition, à base de gin, marasquin, jus de citron vert et Chartreuse Verte. Remplacez la verte classique par la VEP pour une profondeur aromatique inédite.
- Le « Vesper Herbal » : Gin, vodka, et une pointe de Chartreuse Verte VEP. Infusé quelques instants avec un zeste de citron pour réveiller les notes d’agrumes.
- Amertume sacrée : VEP, vermouth rouge artisanal, bitter maison. Un hommage liquide aux origines apothicaires des liqueurs.
Mais attention : la VEP n’aime pas la précipitation. Chaque goutte compte. Certains bartenders la dosent à la pipette, pudique hommage à son caractère presque liturgique.
Une liqueur qui vieillit (encore) en bouteille
Contrairement à bien d’autres spiritueux, la Chartreuse Verte VEP continue d’évoluer en bouteille. C’est ce que l’on appelle le vieillissement en verre. Déguster une VEP de 10 ans aux côtés d’une plus récente permet de comprendre l’incroyable potentiel de garde de cette liqueur. Des notes plus sombres, presque boisées, apparaissent, tandis que le profil herbacé s’adoucit.
Certains passionnés font ainsi des verticales de VEP, un peu à la manière des amateurs de vieux millésimes de Bordeaux. À l’aveugle, il n’est pas rare que la liqueur dépasse, en complexité, de nombreux vins fortifiés.
Un peu d’histoire pour la route
L’aventure de la Chartreuse débute en 1605, lorsque le maréchal d’Estrées remet aux moines un mystérieux manuscrit contenant la recette de « l’élixir de longue vie ». Ce document alchimique, illisible pour le commun des mortels, va pourtant inspirer une liqueur qui traversera les siècles, survivant aux guerres, aux exils et aux changements politiques.
En 1737, les Chartreux commencent à distiller la recette devenue plus « digestible » : la fameuse Chartreuse Verte naît. Mais il faudra attendre le XXe siècle pour voir apparaître la version VEP, conçue initialement pour un usage interne ou privé… avant de séduire un cercle d’initiés.
Pourquoi la Chartreuse verte VEP fascine autant ?
Est-ce la rareté ? Le mystère de la recette ? La sagesse monastique insuffle à la Chartreuse Verte VEP une aura unique. À l’heure où tout est accessible en deux clics, où les saveurs se standardisent, elle nous rappelle que certaines beautés naissent du silence, de la lenteur, de la patience.
La VEP n’est pas une liqueur de terrasse. Elle ne se boit pas à la légère. Elle se vit. Elle se découvre comme un vieux grimoire parfumé. D’une gorgée à l’autre, elle dialogue avec votre mémoire olfactive, convoque des souvenirs enfouis, fascine, hypnotise même.
Alors, si jamais vous en trouvez une bouteille, n’en faites pas simplement une boisson… faites-en une rencontre.