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Bronx cocktail : histoire d’un classique oublié à redécouvrir

Bronx cocktail : histoire d’un classique oublié à redécouvrir

Bronx cocktail : histoire d’un classique oublié à redécouvrir

Un cocktail vintage qui méritait mieux que l’oubli

Il y a des cocktails qui ont traversé les âges en conservant leur panache – le Martini, le Negroni, le Manhattan. Et puis il y a ceux qui, malgré un début prometteur, sont tombés dans un curieux oubli. Le Bronx fait partie de cette seconde catégorie. Pourtant, à une époque, il rivalisait avec les plus grands, servi avec panache dans les clubs new-yorkais, les hôtels européen, et jusque dans les coulisses d’Hollywood. Alors, que s’est-il passé ? Pourquoi le Bronx a-t-il disparu des cartes de cocktails modernes ? Et surtout… pourquoi vous devriez sérieusement envisager de le remettre au menu ?

Le Bronx : l’inattendu enfant de Manhattan et de l’orange

Pour comprendre le Bronx, il faut revenir au tout début du XXe siècle, quand l’Amérique tombait lentement amoureuse du cocktail comme art de vivre. Le Bronx apparaît pour la première fois mentionné dans des documents en 1905. Mais comme souvent avec les boissons à succès, plusieurs versions de sa naissance circulent. La plus populaire attribue sa création à Johnnie Solon, barman au Waldorf-Astoria de New York. Un client aurait demandé quelque chose de nouveau – et voilà que Johnnie secoue du gin, du vermouth sec et doux, agrémenté d’un peu de jus d’orange fraîchement pressé. Le résultat est fruité, raffiné, étonnamment équilibré. Le client est conquis, le Bronx est né. Une légende est en marche.

Pour les habitués des grands classiques, on pourrait décrire le Bronx comme une espèce de cousin du Perfect Martini, mais dopé à la vitamine C. Une touche d’audace, presque espiègle, venue bousculer le formalisme du bar américain.

Quelques chiffres – et un destin fulgurant

À son apogée, entre les années 1910 et 1930, le Bronx était le troisième cocktail le plus consommé aux États-Unis. Oui, juste après le Martini et le Manhattan. Ce n’était pas juste un « cocktail à la mode », c’était un pilier du répertoire de tout barman digne de ce nom. Les mixologues de l’époque se devaient de le maîtriser, et les films hollywoodiens lui faisaient même des clins d’œil. Mais comme toutes les grandes gloires, il connut une chute.

Pourquoi ? Sans doute, une certaine complexité dans ses ingrédients (trouver un bon jus d’orange frais derrière un comptoir n’était pas forcément gage de rapidité), mais surtout l’évolution des goûts. À partir des années 50, le sucré et fruité s’associait davantage aux cocktails « tiki » exotiques, tandis que le gin commençait doucement à perdre du terrain face à la vodka. Double peine pour notre cher Bronx.

Déconstruire – et réhabiliter – le Bronx

À l’heure où la mixologie vit une vraie renaissance, le Bronx mérite qu’on l’écoute à nouveau. Car derrière sa simplicité apparente, il cache une vraie finesse d’exécution. Chaque ingrédient compte, et l’équilibre est un jeu d’orfèvre.

Voici la recette classique :

Secouer tous les ingrédients avec de la glace, filtrer dans un verre à cocktail refroidi. (On évitera de le servir sur glace, pour ne pas diluer son architecture bien construite.)

Le jus d’orange est la variable clé. Il doit être frais, légèrement acide, sans pulpe excessive. Trop sucré et le cocktail devient flasque. Trop acide et il écrase les vermouths. C’est un numéro d’équilibriste. Comme une partition de jazz, libre mais exigeante.

Variations sur un thème : la créativité au service du Bronx

Ce qui est fascinant avec le Bronx, c’est sa capacité à muter. Certains barmen ambitieux ont réinterprété le cocktail en dosant différemment les deux vermouths, ou en jouant sur le gin. Un gin plus floral, comme un Monkey 47 ou un gin infusé au yuzu, l’envoie dans une autre dimension.

D’autres osent ajouter quelques gouttes de bitter à l’orange (orange bitters), ce qui relève l’ensemble et lui donne un noble coup de fouet aromatique. Une aventure à tenter par les amateurs éclairés.

Encore plus audacieux : remplacer une partie du jus d’orange par du sanguinello en hiver, ou du jus de clémentine corse. Le terroir français s’invite alors dans cette recette historique, avec une fraîcheur méditerranéenne qui fait frémir les papilles.

Mais alors… pourquoi l’a-t-on oublié ?

Le Bronx a souffert de sa position d’entre-deux. Trop sérieux pour être un cocktail fun et coloré, pas assez sec ou corsé pour contenter les puristes du gin. Il est resté coincé entre deux époques, deux styles, deux mondes presque hermétiques. Une sorte de Gatsby du verre à martini : chic, mais incompris.

Et pourtant, il incarne une époque où l’on savait encore équilibrer les saveurs avec subtilité. Où l’orange n’était pas reléguée à la piña colada, mais chantait sa note avec élégance dans les salons feutrés. Le Bronx, c’était un soupçon de soleil en pleine prohibition. Un grain de fantastique dans une Amérique encore divisée entre progrès et décadence.

Bronx et accords gourmands : que manger avec ?

Le Bronx, avec sa touche fruitée et sa base herbacée, s’accorde admirablement avec des mets légers et iodés. On pense à :

Et côté fromage, pourquoi ne pas l’oser avec un crottin de chèvre affiné ? Le contraste entre la douceur du cocktail et la texture crayeuse du fromage est aussi inattendu qu’envoûtant. Un vrai clin d’œil à la gastronomie française, au cœur d’un cocktail 100% new-yorkais.

Un cocktail à transmettre, pas à classer

Si vous êtes de ceux qui aiment surprendre leurs amis à l’apéritif, sortez donc votre shaker et proposez-leur un Bronx bien fait. Accompagnez-le d’un petit mot d’histoire, d’une anecdote sur ses origines ou sur son déclin. Car le plaisir ne se trouve pas seulement dans le goût. Il réside aussi dans le partage de ce petit instant de patrimoine liquide, ce fragment oublié de la grande saga de la mixologie.

Et si jamais l’un de vos convives vous dit : « Mais pourquoi ce cocktail s’appelle le Bronx ? » – souriez, et laissez planer un certain mystère. Peut-être était-ce pour évoquer l’exubérance du borough, ou à cause d’un pari lancé entre deux barmen, ou simplement parce qu’à force de le boire… on finit par se sentir ailleurs.

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : il est temps de redonner au Bronx la place qu’il mérite. Ni un mythe, ni un simple souvenir. Mais un classique à redécouvrir, à transmettre, à savourer lentement… comme une histoire qu’on ne se lasse jamais de raconter.

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